Partir d’une maison sans chat, revenir. Partir, revenir dans une maison sans chat.

Deuil en cours, avec un soupçon d’une tranche de Miaougraphie

Partir, revenir, partir, revenir. Cela n’a plus le même sens sans Clément qui surveille nos préparatifs avec appréhension et qui guette notre retour avec trépidation. Plus de bols d’eau à rafraîchir et à ajouter, selon la période d’absence. Plus besoin de réfléchir à la quantité de nourriture laissée. Plus de gardien à trouver en cas d’absence de plus de quatre jours. Plus de litière à s’assurer de nettoyer avant le départ. Plus de boule de poils qui se couche dans la valise en train d’être remplie, qui se frotte sur les sacs déjà prêts dans l’entrée, qui recherche toute l’attention possible anticipant le départ, profitant du retour.

Quand bébé chat était particulièrement nerveux à l’idée de nous voir partir, il avait l’habitude de s’affaler de tout son long devant la porte d’entrée. Il se faisait le plus lourd et le plus mou possible pour rendre plus difficile son déplacement. Il le faisait aussi parfois pour les sorties quotidiennes des journées de travail au bureau. Clément avait recommencé à le faire en janvier dernier, malgré le fait qu’au moins un de ses deux humains était à la maison cinq à six jours de la semaine.

Depuis le décès de mon vieux chaton adoré, j’ai survécu à ma première semaine complètement seule à l’appartement. J’ai aussi passé à travers mon premier déplacement hors de la ville pour presqu’une semaine.

J’anticipe un nouveau départ de la maison, touchant les petits mementos de Clément, planifiant comment les protéger, quoi apporter, quoi laisser derrière temporairement. Partir, à des milliers de kilomètres de la maison, même si ce n’est que pour une semaine, à peine, c’est difficile à concevoir. S’imaginer loin de la dernière demeure de Clément est presque plus inconcevable que c’était d’être loin de la maison de son vivant.

Son vivant… il me semble ne pas avoir utiliser cette expression beaucoup jusqu’à maintenant, comparativement au nombre de fois où j’ai écrit les mots mort, décès, trépas, défunt, décédé et plus du genre… Et ce, même si j’ai rédigé plusieurs textes sur des moments de sa vie auprès de nous. Quelle conclusion en tirer ? Que d’un côté je ne me dissimule pas sa fin, tandis que de l’autre, j’arrive avec peine à référer à l’avant – à quand il respirait encore et arpentait toujours les corridors de l’appartement ? Voilà, les vannes s’ouvrent. J’ai enfoncé une porte en moi sans cogner et j’ai trouvé tapi au fond de cette petite salle la douleur qui s’y terrait. Y a-t-il donc une distinction entre reconnaître la mort d’un être et penser à son existence entièrement au passé ?

C’est étrange, mais l’expression de son vivant me semble plus crue qu’avant sa mort ; dans ses dernières semaines de vie ; les mois qui ont précédé son décès ; et j’en passe.

De son vivant, Clément nous en a fait voir de toutes les couleurs. De son vivant, bébé chat avait du mordant et de la douceur en réserve. De son vivant, notre vieux chaton voulait toujours nous garder pour lui tout seul, jusqu’à ce qu’il en ait assez de nous et nous ignore. De son vivant, ce roi tigré en imposait. De son vivant. De son vivant. De son vivant. De son vivant, Clément me consolait presque tout le temps de toutes mes peines et menus tracas.

Répéter l’expression suffira-t-il à exorciser un peu la douleur associée à l’expression ? Qui sait ?

Mais je m’égare du sujet – le départ appréhendé. Tellement d’inconnu à affronter : je n’ai pas pris l’avion depuis plus d’une décennie ; je ne me suis pas aventurée hors de la province depuis plusieurs années ; et cela fait longtemps que je n’ai pas pris deux périodes de vacances aussi rapprochées. Quand j’étais dans la région de Montréal lors de ma semaine de vacances en mars, je pouvais me dire que si je m’ennuyais trop, je pouvais facilement devancer mon retour. Cette fois-ci, je n’ai pas ce plan B sur lequel retomber. Je devrai endurer, peu importe comment je le vis.

Avant la mort de mon Mément, une des choses qui me stressaient était les préparatifs pour s’assurer qu’il ait tout ce dont il a besoin. Même avec ces mesures, c’était toujours un peu angoissant de le laisser seul pour quelques jours, même lorsque nous partions plus longtemps et que nous nous assurions qu’au moins une personne passe régulièrement le voir et prendre soin de lui. On pourrait penser que maintenant au moins, je n’ai plus ce poids sur les épaules avant de partir. Cependant, il a juste été remplacé par un autre : la peur que quelque chose survienne pendant notre absence et que nous perdions une partie ou tout ce qui nous reste de physique de Clément. Son collier, ses petites moustaches et morceaux de griffes, l’empreinte de sa patte, ses compagnons peluches, nos couvertures préférées, le disque dur externe contenant une bonne partie des centaines de photos de lui à travers ses âges. J’ai bien songé à apporter certaines petites choses avec moi, mais l’inquiétude de les perdre en cours de route est aussi prégnante que si je les laisse à la maison.

Il y a bien certains gestes que j’ai pu poser pour amoindrir cette peur ; j’ai pris quelques photos et j’ai placé le plus possible en sûreté les objets les plus précieux. Néanmoins, cette sensation qui me serre le coeur ne se relâche pas. La vérité, c’est sans doute que je n’ai pas envie de partir loin de la maison, bien que j’ai très hâte d’effectuer ce voyage tant attendu. Je ne me suis pas rendue dans l’Ouest du Canada depuis 2014. Deux envies contradictoires, je dois passer par dessus l’une avant de profiter de l’autre.

Je pense que le timing n’aide pas. Quitter la maison le 5 avril, deux mois après avoir emmené Clément chez le vétérinaire exactement, prendre l’avion deux mois après qu’il soit décédé. Drôle de façon de souligner ce triste anniversaire. Mais voilà, on ne choisit pas quand le week-end de Pâques commence et se termine et faire coïncider ce voyage avec le long week-end me donnait plus de temps et de flexibilité…

Comme vous pouvez le constater, au moment où ce texte est publié, je suis déjà partie et même plus, je suis déjà sur le chemin du retour. Presque rendue à la maison. Retour en solo, mon conjoint reste pour quelques jours de plus. J’appréhende ce retour presqu’autant que le départ, mais j’ai quand même hâte de retrouver mon chez-moi et toutes les traces de Clément laissées derrière. Qu’est-ce que je rapporte de ce voyage ? On verra bien, j’ai planifié la publication de ce texte avant de partir, alors, vous n’aurez pas de spoilers ici ! 😉

Clément le chat est à moitié allongé dans la petite pochette avant d'une valise, roulé en boule, yeux clos.

2 réponses à « Partir d’une maison sans chat, revenir. Partir, revenir dans une maison sans chat. »

  1. J’ai, avec mes papiers d’identité, quelques poils (précieusement conservés) qui ne quittent pas où que j’aille. J’ai l’impression qu’Il me protège (comme quand Il m’accompagnait partout)…

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    1. C’est très beau ! J’en avais quelques-uns avec moi, en plus de ceux qui marquaient encore mes bagages, juste pour avoir un peu plus de Clément à mes côtés.

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