Miaougraphie de Clément

Deuil en cours
Samedi dernier, je me suis extirpée d’un rêve étrange ayant laissé sur son passage un mélange de douceur et d’amertume. Dans ce rêve, Clément tenait un rôle. Je ne sais pas pour vous, mais dans mes rêves, bien souvent, les choses, les lieux et les gens ne ressemblent pas tout à fait à leur véritable représentation. Ce n’était pas le cas pour celui-ci, du moins, pour mon vieux chaton qui était à ne pas en douter le reflet parfait de son vivant, il semblait si réel dans son apparence autant que dans sa façon de bouger. Je retrouvais en chair éthéré et en os vaporeux ! Néanmoins, j’étais à ce point de mon cycle du sommeil où ma conscience s’éveillait, pas au point où je pensais  » Ah tiens je rêve! », mais assez consciente pour réaliser la dissonance ; Mément n’était plus en vie, malgré le fait qu’il émanait de son reflet en rêve tant d’énergie et de vitalité. Il se mit d’ailleurs à miauler à ce point-là et je jure que ça sonnait comme ses miaulements typiques qu’il émettait pour nous raconter tout ce qu’il avait accompli durant notre absence pour témoigner de la longueur de ladite absence.

Mon conjoint était aussi dans mon rêve, mais il cherchait le chat. Il ne le voyait pas tandis que moi, je le voyais bien et le chat n’en miaulait que plus fort pour attirer son attention. Cela semblait renforcer l’idée d’une apparition fantomatique. Pourtant, un peu plus tard, dans ce même rêve, je prenais Clément dans mes bras et je jure que j’ai ressenti les sensations de frottement de son pelage sur ma peau tout comme l’entrée de ses griffes sous ma première couche d’épiderme. Je ne me souviens plus de ce qui a mené Clément dans mon rêve à sortir brièvement les griffes, je sais juste que c’était superficiel et que j’ai eu l’impressioon de ressentir la percée de ma peau. Mes rêves revêtent parfois un certain caractère lucide. Toutefois, niveau stimulation des sens, c’est un des rêves les plus complets (vue, son, toucher) dont je me rappelle.

Difficile de s’éveiller d’un rêve où je retrouvais pour un bref instant mon chat adoré. Le réveil ne fut pas particulièrement brutal pour autant, juste un soupçon cruel. Ça m’est arrivé dans le passé de sortir d’un rêve avec la certitude d’avoir accompli ou obtenu quelque chose pour réaliser que ce n’était vrai qu’en rêve. La joie et la satisfaction que ces faits rêvés génèrent ne s’estompent généralement pas totalement au réveil. Ce qui peut paraître étonnant, toutefois, considérant que notre cerveau ne distingue pas vraiment une expérience réelle d’une fausse, cela l’est moins je pense. Nombre d’études en sciences cognitives ont démontré que les mêmes parties du cerveau étaient stimulées par une expérience réellement vécue que par la même expérience, mais simulée. En tout cas, c’était un peu comme cela après ce plus récent rêve impliquant Clément. Le rappel de ce que je ne peux plus vivre au quotidien était difficile, mais la joie liée à cette brève rencontre éthérée ne s’est pas pour autant dissipée entièrement une fois pleinement éveillée.

Est-ce que ce rêve présage d’autres doux moments à venir ? Ou était-ce plutôt un dernier aurevoir, un marqueur d’une étape de plus de franchie ? Trop tôt pour le dire, mais mon intuition penche pour la deuxième hypothèse. Je sens en effet que mon deuil a évolué, que les phases apathiques, tristes ou frustrées semblent plus espacées avec entre elles plus de moments joyeux, plaisants et agréables. Les crises de larme qui sont revenues en mai en force ont été remisées à nouveau. Mon quotidien est un peu moins mélancolique, les réminescences plus axées sur les bons souvenirs qui correspondent à la majeure partie de la vie de Clément. Clément était décidément un chat plein de vie, de bébé à aîné.

Plein de vie, c’est une expression que je trouvais étrange avant quand les gens parlaient d’un être récemment décédé et le décrivait comme étant plein de vie. Ça me paraissait une évidence ; avant sa mort, un être est généralement plein de vie ! Néanmoins, quelques temps après l’euthanasie de bébé chat, je me suis surprise à penser cela durant un de ces moments où sa mort me paraissait improbable parce qu’il débordait d’une énergie tellement vibrante il y avait si peu de temps encore, où je le revoyais comme il avait été durant son dernier mois de vie et que je n’arrivais pas à réconciler ces souvenirs avec la fin qu’il a connue. J’imagine que plus la mort survient soudainement, plus celle-ci semble contradictoire avec l’état vivant le plus récent du défunt. Alors, cette phrase « il ou elle était plein de vie » n’exprime-t-elle pas cette dissonance entre la réalité avec l’être trépassé et la nouvelle réalité sans ? C’est ce que j’en viens à penser. En tout cas, une chose est sûre, je ne sourcillerai plus quand une personne utilise cette expression pour parler d’un mort, parce que je comprends en partie d’où peut provenir ces quelques mots qui paraissent si banals, mais qui peuvent exprimer tant de douleur et de confusion.

Ça faisait un moment que je voulais partager ce brin de réflexion, mais qu’il ne trouvait pas de place. Un rêve surréel, voilà tout ce que ça prenait pour l’aborder. Clément débordait de vie, même s’il s’était assagi avec l’âge. Même si cela avive un peu ma peine, je suis heureuse d’avoir retrouvé mon chat au carrefour séparant la nuit du matin. Je pense que je le chérirai longtemps ce songe d’une autre époque, bien que les sensations ressenties ont déjà perdu une partie de leur netteté. Difficile de s’accrocher aux impressions fugaces du toucher ou de l’audition, j’ai bien encore une grosse poignée des poils roux de bébé chat, mais sans le relief de son petit corps, la sensation n’est pas tout à fait la même… Sans la chaleur irradiant sous sa peau, le confort est moindre.

C’est dans ce contexte que j’ai entamé ma lecture de The Midnight Library de Matt Haig lundi soir et je ne m’attendais pas à ce que l’héroïne trouve son chat mort dans les premières pages du roman, un tabby roux en plus. Une chance que je n’ai pas tenté de lire cette oeuvre il y a quelques mois. Je ne pense pas que j’aurais eu la force de poursuivre… D’ailleurs, avoir su que cet événement était un des points de départ du roman, j’aurais peut-être décidé de remettre cette lecture à plus tard. Cependant, je pense que cette lecture me fera du bien et je ne pense pas regretter de le lire maintenant. Presqu’au tiers du livre et j’apprécie énormément jusqu’à présent. Soit dit en passant, mes lectures pour le mois anglais progressent bien, trois complétées et une en cours. Peut-être est-ce parce que je lis plus que j’ai fait ce rêve très vivide ; j’ai remarqué depuis quelques années que mes rêves deviennent souvent plus détaillées et vibrants durant les périodes où je lis beaucoup… Qui sait ?