Deuil en cours
J’aurais dû le savoir… J’aurais dû le savoir. J’aurais dû le savoir. J’aurais dû le savoir. J’aurais dû le savoir ! Et la vérité est que j’ai senti que quelque chose clochait, mais j’étais loin de me douter de la sévérité et du déclin rapide de la santé de mon vieux chaton. Ou plutôt, sévérité, oui, mais je ne pensais pas que c’était une question de semaines. Le pire c’est que je pensais que je paniquais sans doute un peu, pas mal, à cause du stress intense que je vivais au boulot dans les semaines qui ont précédé les derniers moments de vie de Clément. J’étais persuadée que cela amplifiait mes inquiétudes envers la santé de mon cher chat.
Pourtant, parfois le matin, j’étais sûre que Clément était encore à mes pieds, puis, je me levais la tête et je constatais son absence. J’aurais juré qu’il était encore là, que je sentais son poids sur mes jambes, mais ce n’était pas le cas… J’aurais dû pouvoir prendre la mesure de sa perte de poids récente. Toutefois, il a perdu du poids rapidement, tellement rapidement que nous ne nous en sommes pas rendu compte. Quand je l’ai emmené au lit pour la dernière fois, le soir avant les événements ayant mené à sa mort, je le trouvais très léger…
Si j’avais pu mettre tous les morceaux ensemble plus rapidement, est-ce que cela aurait changé quelque chose ? Ou est-ce que cela aurait mené à une décision plus rapide d’abréger son existence ? Nous ne saurons jamais à moins de pouvoir visiter un monde parallèle où Clément est toujours vivant…
J’ai toujours su que le jour où Clément serait mort, je trouverais cela très difficile, voire impossible. Maintenant, je le vis chaque jour. Il y a eu ce moment un soir où j’allais ouvrir l’interrupteur, traversant la salle à manger dans la pénombre, et j’ai eu un mouvement de recul, comme s’il fallait que j’essaie de voir s’il n’y avait pas du pipi ou du vomi de chat sur mon chemin. Mais il n’y en aura plus! Au moins, pour une période possiblement très longue. Que je préférerais encore mettre mon pied dans un dégât de chat et avoir Clément près de nous, plutôt que ce que nous vivons actuellement. Il est souvent tentant de négocier avec la vie, gardant en tête que le taux de succès est assez faible. Cependant, négocier avec la mort est une tâche pas mal plus imposante… Rien ne nous ramènera en arrière, rien n’effacera sa fin soudaine, rien ne nous permettra de récupérer Clément. Excepté les souvenirs et mémentos qui représentent tout ce qui nous reste de ces belles années où sa compagnie nous a choyés. C’est beaucoup quand même, mais en ce moment, ça me paraît bien peu comparé à la chance que j’avais il y a encore juste un mois de cela…
Ainsi, je confesse que j’ai encore de la difficulté à imaginer ma vie sans mon Mément à mes côtés directement. Je comprends bien qu’il est mort ; je ne m’attends pas à le voir apparaître soudainement. Cependant, le savoir, l’accepter et vivre avec sont trois choses distinctes. Je le sais depuis le moment que j’ai touché son cadavre, je suis en bonne voie d’accepter le fait qu’il n’est plus parmi nous, mais je ne comprends pas comment vivre sans lui. Entendons-nous, j’arrive à le faire – travailler, manger, dormir, se laver, nettoyer, se divertir (un peu), écrire, écrire et écrire. Mais je le fais plus par l’automatisme de habitude que par envie. Ces temps-ci, soit mon quotidien m’attriste, m’alourdit ou encore m’engourdit simplement. Les rires et les sourires ne sont pas pour autant absents, juste insuffisants pour contrer tout le reste.
La semaine passée, j’ai réalisé que j’ai passé le cap de la plus longue période écoulée sans sa présence à mes côtés. En effet, durant ses quinze années et deux mois avec nous, je ne me suis jamais éloignée de la maison plus de 15-16 jours. Je pense que c’est une des raisons qui explique que je sois actuellement dans un creux presque plus profond que durant la deuxième semaine suivant sa mort. Nous avons atteint le point de non-retour, à partir d’ici, la distance qui nous sépare de sa compagnie ne fera qu’augmenter. Aujourd’hui, cela marque un mois sans Clément. Pour mettre cela en perspective, dites-vous que j’ai cohabité avec ce gentil félin pendant presque l’entiéreté de ma vie adulte. Alors, oui, un mois sans lui, c’est long, c’est difficile et ce n’est malheureusement pas fini, parce qu’il y en aura un autre, puis un autre, et encore un autre, et ainsi de suite, jusqu’à ce que je m’habitue à porter cette douleur, jusqu’à ce que j’arrive à invoquer sa douceur plus facilement…
Hier, nous avons fait nos adieux officiels à notre Clément adoré. Une page de tournée dans ce deuil difficile. Ce rituel fut court, simple, tendre à notre image et celle de notre compagnon félin. Nous avons lancé le tout avec quelques mots chacun, mon conjoint et moi, baignés de larmes. Nous avons déposé un bol avec un fond de lait dans la cour. Je portais un ruban à mon poignet que notre chaton avait porté brièvement. Je l’ai décroché pour l’attacher à la clôture de la cour. J’avais ajouté au ruban un petit grelot, comme Clément a longtemps eu à son cou, et quelques fleurs séchées. Le ruban restera accroché à la clôture pour un temps indéterminé ; la cour paraîtra tellement grande et vide, une fois que la neige aura fondu, sans les rondes de garde de notre immense chaton. Il aura passé des heures derrière cette clôture, à l’abri de tout, à observer à la dérobée la vie urbaine, et il continuera dans nos coeurs à le faire.
Je pense que ça nous a fait du bien, à tous les deux, cet hommage à la mémoire de Clément. J’espère entre autres que ça m’aidera à me réconcilier avec les dimanches, qui sont des journées douloureuses depuis la mort de bébé chat. Je sais qu’écrire et publier le texte relatant les dernières heures de notre chat avant son euthanasie m’a libéré quelque peu des sombres réminescences qui me hantaient. Pas que j’ai arrêté d’y penser ou de revivre certains de ces moments, non, mais lorsque cela survient maintenant, hmm, je ne sais pas comment le décrire… C’est comme si avant toutes les émotions liés à l’expérience en direct et en différé s’entremêlaient dans un fouillis inextricable qui me suffoquait. Depuis que j’ai publié le texte, lorsque je repense à un moment de ce week-end fatidique, je ressens plutôt une émotion à la fois et j’arrive à faire la part des choses un peu mieux. Surtout, ça se limite souvent à un moment particulier, tandis qu’avant, penser à un seul moment de la série d’événements enclenchait le défilement des moments suivants et précédents.
Qui plus est, depuis, je revis moins souvent les derniers moments de mon chat et quand j’y plonge, c’est moins vif qu’avant… tout de même, je n’ai pas encore eu la force ou l’envie de traiter des derniers instants partagés avec Clément avant son trépas! Peut-être demain, comme cela marquera un mois, nous verrons.
Dans mon vécu, l’écriture a souvent joué un rôle cathartique pour traverser les platitudes et les crises de l’existence, autant les récits créatifs et fictionnels que les écrits plus intimes et autobiographiques. Mon expérience actuelle avec ce deuil et le blog que j’ai créé en lien en est un bon exemple. Je pense que l’écriture me permet de recentrer, restructurer et, ultimement, reprendre le contrôle de ma propre trame narrative. Articuler ce que je vis, mettre sur papier ou taper sur le clavier ce que je ressens, m’aide à identifier les émotions qui me possèdent, à comprendre leurs causes et leurs influences et à les accueillir.




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