Je suis sur Instagram Mark Lemon (@marklemonofficial) depuis un mois environ. Il parle et partage principalement sur le sujet du deuil, basé sur son expérience personnelle suivant le meurtre de son père survenu lorsqu’il était adolescent. Ses partages et ses citations rejoignent fréquemment ce que je vis et j’y puise de la compassion et de l’acceptation, deux choses qui sont bien utiles pour apprendre à vivre avec un deuil.
La semaine passée, une de ses publications m’a fait réagir. Bien qu’intéressante, je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce qu’il a présenté. Voici la publication en question :

En fait, je n’aurais pas placé dans cet ordre les phrases à ne pas dire à une personne vivant un deuil et même que je n’aurais pas inclus certaines de ces phrases personnellement. Je comprends que chaque personne vit le deuil à sa façon et même qu’une même personne ne vivra pas le même deuil à chaque reprise. D’ailleurs, c’est une des raisons pour laquelle je ne suis pas d’accord avec cette publication. Pour certaines personnes, pour certains deuils, les mots provoquant l’effet inverse d’apaiser ne seront pas les mêmes. Je ne pense pas qu’on puisse monter un guide sur quelles phrases utilisées pour parler à une personne en situation de deuil, peut-être plus un guide sur les attitudes et comportements pouvant aider une personne dans cette situation… Cependant, aujourd’hui, ce n’est pas mon intention de poser les bases d’un tel guide, je souhaite seulement entamer une discussion en lien avec cette publication.
« I know how you feel »
Cette phrase n’est pas vraiment dans mes premiers choix d’expression à éviter lorsque je parle de ce que je vis, en fait, je ne pense pas que je l’inclurais du tout. En partie, je pense que c’est dû à comment je comprends cette phrase en français, « Je comprends ce que tu ressens ». En fait, le verbe « know » a deux définitions soit celle de détenir une information sur quelque chose ou quelqu’un et celle de réaliser, comprendre quelque chose. Il y a une certaine distinction entre savoir quelque chose et le comprendre et c’est dans cette nuance que je trouve que cette phrase est acceptable. Qu’une personne ait vécu ou non un deuil comparable au mien, je conçois qu’elle puisse comprendre que ce que je vis est difficile et douloureux. Je ne considère pas cette phrase comme un faux-pas, plutôt comme une ouverture, un accueil du deuil en cours.
« They lived a long life » / « Il ou elle a vécu une longue vie »
Cette phrase-là, je comprends un peu mieux son inclusion dans cette liste. La longévité d’un être ne décroît pas le poids du deuil que l’on vit suivant sa finalité… particulièrement si la mort survient soudainement, peu importe l’âge du défunt. Néanmoins, cela vient souvent d’une affirmation positive sur l’héritage de la longue existence de l’être décédé. Il a vécu une longue vie, une belle vie, une vie confortable, ces phrases, quant à moi, tiennent surtout à souligner tout ce vécu qui ne disparaît pas tant qu’e nos souvenirs restent’on se souvient. Toutefois, je peux dire que dans le vif du deuil, dans les périodes de choc ou de profonde déprime, ça ne soulage pas vraiment. Du moins, c’est ce que j’ai vécu personnellement, mais n’est-ce pas important tout de même de rappeler tout ce que laisse derrière un être cher récemment trépassé ? C’est si facile dans le plus creux de son deuil de se concentrer sur la fin de la vie de l’être cher. J’avais écrit initialement pour suivre cette phrase « négligeant tout ce qui a précédé ». Ce n’est pourtant pas nécessairement de la négligence. J’essaie plutôt de décrire comment suivant la mort de Clément, j’étais moi-même obnubilée par ses derniers moments au point où penser à l’avant semblait par moment littéralement impossible. Parfois, on est pris, bloqué dans les derniers moments au point où c’est difficile de s’en extirper. Ce type de phrase ne nous déprend pas nécessairement, mais peut contribuer à rappeler qu’il y a beaucoup à chérir.
Enfin, si vous m’avez écrit ou partagé une variation de cette expression, sachez que je ne me suis pas sentie froissée par celle-ci. Peut-être ai-je seulement songé, sans forcément le dire, au fait que toutes ces belles années passées en présence de Clément pesaient lourds sur mon coeur. Cela me rappelait parfois tout ce que je n’aurais plus maintenant qu’il n’était plus, bien que je réalisais que j’ai été bien chanceuse de l’avoir eu près de moi si longtemps. Presque quatre mois après son décès, je peux affirmer que ce n’est plus tout à fait le cas. Je sens que le poids des années se déplace tranquillement du côté des sources de réconfort et même de joie.
« They’re in a better place » / « Il ou elle est dans un monde meilleur »
Ok, celle-là, je comprends plus son inclusion, bien que je demeure mitigée à la « bannir » totalement. Je ne peux parler que pour moi, mais me faire dire cela dans le vif de mon deuil avait plutôt tendance à aviver ma tristesse plus qu’autre chose, parce que je ne pouvais concevoir qu’il y ait un meilleur endroit pour notre bébé chat qu’auprès de nous qui l’aimons très fort… Cependant, je n’ai pas pris en grippe les personnes qui m’ont lancé celle-là, parce que je comprends que l’intention derrière était bonne. Tout de même, ce n’est peut-être pas la meilleure formulation. Quoi qu’elle est définitivement mieux que la suivante que, par chance, personne ne m’a servi jusqu’à maintenant… je n’ose imaginer ce que je rétorquerais à celle-ci.
« Isn’t it time to get over it ? » / « N’est-ce pas le temps de passer à autre chose ? »
Le deuil a-t-il une date de déremption ? Voyons donc, si quelqu’un pense qu’une personne endeuillée s’enlise dans un marasme, ce n’est pas en lui disant cela qu’on l’aidera à en sortir ! D’un autre côté, si on ne sent plus capable d’accueillir le deuil d’une personne à cause de sa propre charge émotionnelle, il vaut mieux le formuler de cette façon. Je pense que je reviendrai un autre jour sur la question de la durée du deuil, il y a tant à écrire sur le sujet. En tout cas, ce genre de phrase me fâche parce que c’est le genre de chose qui culpabilise la personne endeuillée, la fait se sentir incomprise, exclue. Du moins, c’est comme cela que je me sentirais si on me la lançait…
Anything starting with ‘at least’ / Toute phrase commençant par « au moins »
Je suis plutôt d’accord avec son inclusion dans les mots à éviter lorsqu’on s’adresse à une personne endeuillée. Au moins n’est définitivement pas le meilleur chemin pour ramener vers des considérations plus positives. Si on tient à apporter une touche positive à une personne en situation de deuil, une affirmation positive suffit amplement d’après moi, en laissant le « au moins » de côté, ou encore une simple question pour raviver les bons souvenirs. En tout cas, je pense que c’est mieux qu’un « au moins » qui tourne le couteau dans la plaie, je dirais.
Je comprends l’usage de ces phrases et bien d’autres. C’est très difficile et délicat d’approcher le deuil d’une autre personne, qu’on la connaisse bien ou non. Je me suis moi-même sentie plus souvent qu’autrement démunie devant le deuil des gens de mon entourage avant la mort de Clément. Pourtant, j’ai vécu des deuils importants avant cela. Ma grand-mère maternelle est décédée quand j’avais cinq ans et j’étais très proche d’elle, mon arrière-grand-mère qui avait un peu remplacé ma grand-mêre, a suivi sa fille vers mes dix ans, et puis mon grand-père maternel est décédé peu après que j’aille atteint l’âge adulte. Le deuil de Clément m’a quand même beaucoup appris et j’ai l’impression que je retiendrai certaines leçons de mon expérience personnelle qui, j’espère, me permettront d’aider d’autres personnes endeuillées dans le futur.
Je réalise entre autres qu’il y a bien peu de choses qui soulagent dans le vif du deuil. Peu importe le choix des mots ou des gestes, dans le creux du creux, à peu près rien ne peut atteindre cette profondeur. Dans les choses qui arrivent tant bien que mal à plonger dans ce creux, je dirais que ce sont l’accueil et la présence. La présence peut se passer de mots, bien que des mots peuvent servir à la faire sentir, et l’accueil se partage en quelques mots. Je trouve ainsi que les meilleurs mots à partager ou gestes à poser envers une personne naviguant un deuil sont ceux qui accueilleront et reconnaîtront sa souffrance ainsi que ceux qui feront sentir la disponibilité et la proximité de la personne voulant apporter son soutien. Il n’existe pas de recette miraculeuse pour survivre à un deuil. Il n’y a pas de formule magique pour faire disparaître la tristesse, l’amertume, le regret, la colère, la culpabilité, l’apathie et toute autre émotion ou sentiment pouvant découler d’un deuil. Je pense qu’il y a un moment pour le côté positif des choses, et un moment pour l’acceptation du côté sombre. Je ne suis peut-être pas d’accord avec le propos littéral de cette publication de Mark Lemon, mais j’apprécie la réflexion derrière qui me semble mener vers une revendication du le droit de vivre son deuil avec tout ce qui vient avec, larmes, crises, perte d’intérêt, et compagnie. La meilleure façon d’aider une personne à traverser cette épreuve, c’est peut-être de la laisser vivre son deuil…
Voilà mon petit éditorial, j’aimerais conclure en rappelant que c’est important de respecter sa propre capacité à accueillir et être présent pour une personne endeuillée. Je ne pense pas qu’on puisse porter la tristesse d’autrui, tout au plus, peut-on épauler la personne pour l’aider à porter la charge du deuil.




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