Deuil en cours d’une experte-dépisteuse
J’ai réalisé dernièrement que je ne sentais plus approcher les 5-6 de chaque mois comme c’était le cas en 2023. Peut-être l’atteinte du douzième mois suivant la mort de Clément a changé la mesure de temps me séparant de bébé chat, parce que déjà en mars, il ne me semble pas avoir particulièrement senti d’ombre couvrir les heures des 5 et 6 du mois, et définitivement pas en avril, ni en mai, encore moins en juin… quoi que peut-être un peu en juillet. Le fait est que je compte moins les mois qui me séparent de notre petit roi vivant depuis février dernier, j’arrondis plutôt à un an ; un an juste, un peu plus d’un an, un an et quelques déjà, presqu’un an et demi. Ainsi, le passage de la nuit du 5 au 6 de chaque mois n’est peut-être plus aussi significatif qu’avant.
Cela ne signifie pas pour autant que je ne ressens plus de chagrin, simplement, cela semble s’être dispersé entre les différentes périodes du mois, moins concentré autour du début, ce qui égalise le champ entre les jours. Les jours du 5 et du 6 de chaque mois n’ont donc plus le monopole des grandes pointes de tristesse. C’est peut-être plus cela qui me surprend après ce mois de juin ayant comporté un lourd lot de larmes. J’ai l’impression d’avoir connu plus de sombres périodes dans mon deuil en juin cette année qu’en juin l’an passé. Justement, ce n’est peut-être qu’une impression dû au fait que les pics larmoyants en 2023, passés avril, étaient concentrés au début du mois et que le reste du mois avait tendance à osciller entre « quelque peu humide » et « assez sec ».
C’est aussi possible que j’aie ressenti plus de tristesse durant juin 2024 que celui de 2023, surtout qu’il y a eu plusieurs ondes de choc entre la fin du mois de mai et de juin avec des chats que j’ai appris à connaître sur les réseaux qui sont décédés ou qui ont eu des accidents importants. Tout ce que je sais pour sûr, c’est que je me suis sentie de nombreuses fois fragile, vulnérable en juin, en pensant à Clément, à sa mort, à son absence toujours aussi prégnante. Je m’ennuie tellement de lui, je m’ennuie de toutes ces petites choses bénignes qui constituaint notre quotidien avec lui ; ses légers ronflements qui se mêlaient parfois à ceux moins légers de mon conjoint et aggravaient mon incapacité à m’endormir par moment ; le bruit de son petit trot lorsqu’il entendait le son de ses croquettes tinté sur sa gamelle ; la douceur de son poil soyeux ; sa façon paresseusse de s’étirer ; son accueil plus ou moins chaleureux au retour du travail, selon ses humeurs et son état d’éveil ; parmi tant d’autres éléments qui constituaient les moments si ordinaires de notre vie avec Clément.

Ces moments ordinaires qui ont jalonné nos quinze années et quelque à ses côtés, c’est ce qui me manque le plus. Ces moments ordinaires qui ne sont pour la plupart pas archivés nul part, pas enregistrés en mots ou en images, à peine imprimés sur ma mémoire faillible. Ces moments ordinaires qui paraissent souvent insaisissables, jouant à cache-cache avec mes neurones qui les cherchent désespérement depuis sa mort. Ces fragments du quotidien qui paraissaient si anodins quand Clément était en vie, puisqu’ils se répétaient mois après mois, semaine après semaine, jour après jour, heure après heure. Ces fragments qui ne m’ont jamais semblé nécessaires de rassembler tellement ils dominaient par leur nombre, leur fréquence et leur durée sur tout autre instant passé avec bébé chat.
Même sur la Miaougraphie de Clément, ces moments ordinaires avec lui tendent à passer entre mes filets mentaux, ne laissant derrière eux que les événements les plus marquants, les particularités et la personnalité de notre vieux chaton. Tous ces souvenirs qui en soi représentent déjà énormément et qui pourtant ne pèsent pas lourd dans la balance lorsque je sous-pèse tous ces moments ordinaires qui me fuient. Ce manque se fait sentir de façon aigue assez souvent dernièrement. Ce n’est pas que les grands et moyens événements significatifs de la vie de Clément ne sont pas aussi importants, c’est seulement que plusieurs de ceux-ci étaient déjà derrière nous durant les dernières années avec notre petit roi. Après tout, il ne serait pas redevenu pas chaton. Ou encore, avec toutes les mesures prises dans la cour, les opportunités de fugues avaient été grandement réduites et se sont faits plus rares. En croisant les doigts, nous espérions lui éviter de recevoir la visite indésirable et invasive des minuscules puces. Puis, nous n’avions pas l’intention, ni mon conjoint ni moi de retourner aux études. Sans compter que chaque saison passée avec lui était unique en soi, même si des similarités reliaient les transitions d’une saison à l’autre, année après année. Autant d’événements qui ne se seraient pas reproduits pas de son vivant déjà, tandis que les moments ordinaires eux revenaient invariablement… jusqu’à ce que Clément ne soit plus.
J’ai beau être une personne qui a tendance à profiter des petites choses de la vie et, ainsi, avoir plus souvent qu’autrement apprécié chacun de ces petits instants partagés avec Mément, il n’empêche que j’ai peu pris la peine de mémoriser les détails de ces moments. Pourquoi prendre une énième photo de Clément couché à mes pieds dans la même position, environ, que celle qu’il a adopté hier, et avant-hier, puis avant-avant-hier, et qu’il adoptera encore le lendemain, le surlendemain, ainsi de suite ? Maintenant, je le saurais, c’est parce que ça ne dure pas éternellement et que ce n’est pas parce qu’on pense qu’on ne pourra pas oublier ce genre de choses que c’est vrai. La mémoire est capricieuse et ses filtres difficile à maîtriser, surtout quand les émotions s’emmêlent. En même temps, je sais bien que je ne pouvais pas passer mon temps à tout noter sur la vie ordinaire de Clément ou bien à le prendre en photo, parce que je voulais aussi profiter du moment présent avec lui. Y avait-il un juste milieu entre les deux que j’ai manqué du vivant de Clément ?

L’impression d’avoir perdu ces moments ordinaires suivant la mort de Clément est, je pense, une des failles béantes de mon deuil. Je me rassérène en imaginant ces moments ordinaires enfouis quelque part au plus profond de moi. S’ils sont enfouis, c’est qu’ils peuvent être déterrés, ce qui me redonne un pouvoir d’agir sur la situation et nourrit mes espoirs. Ainsi approché, je peux faire quelque chose contre cette portion de déprime ; je peux gratter la surface pour plonger dans les méandres de mes souvenirs et extraire particule par particule des bouts de notre vie commune avec Clément. Il y a tout de même des moments où mes efforts semblent inutiles, où je ne récupère aucune parcelle de mes souvenirs de Clément, où la source semble tarie, comme s’il ne me restait plus d’histoires à raccomoder de mon vieux chaton. Chercher ces moments perdus en vain m’a ainsi miné le moral plus d’une fois, particulièrement en juin cette année. Je me demande si je me laisse emporter par la tourmente, retrouvais-je tous ces fragments du quotidien dispersés aux quatre vents comme si ma mémoire sélective tendait à endiguer la tristesse en retenant ces souvenirs ? Ou m’en éloignerais-je encore plus ? Je n’ai pas la réponse pour l’instant n’ayant pas été au bout d’une ou l’autre de ces questions. Par chance, jusqu’à maintenant, ce ne sont que des impressions qui passent à la suite d’une nouvelle ressurgence de mémoire
Ces petits riens qui composaient la majeure partie de notre quotidien sous l’égide de notre roi félin demeurent les plus élusifs pour moi. Ceux que j’arrive le plus difficilement à invoquer. Il y a tout de même de l’espoir pour retrouver une partie de ces moments des plus ordinaires. Depuis que j’ai jeté les bases de ce texte vers le début du mois de juillet, j’ai été frappée de quelques éclairs mnémoniques, provoqués par quelques stimulations externes telles que vaquer à mes occupations habituelles, observer les photos rescapées de Clément, visionner des vidéos d’autres chats. On ne sait jamais ce qui fera remonter ce brin de mémoire qui semblait disparu, mais avoir mis des mots sur ce manque m’a, je pense, rendu plus alerte à identifier ces clés qui m’ouvrent les portes de ce passé verrouillé. Ce passé qui n’est pourtant pas si lointain ; il y a deux ans à peine, Clément vivait sa vie de chat choyé durant son dernier été, et pourtant, quand j’essaie de me remémorer tous ces morceaux d’ordinaire ayant composé ce dernier été, les impressions sont tellement fugaces. Je pense que c’est une des raisons pour laquelle j’écris encore sur le deuil et sur la vie de félin de notre rouquin préféré. Le processus n’est pas simple et il est problablement loin d’être achevé, possiblement sans fin. Pour l’instant, mon constat est qu’il me reste bien des épisodes et des aspects de la vie de Clément à reconstituer.
Je suis consciente que même si j’arrive à mettre bout à bout tous les fragments que je récupère au fil du temps, il me manquera toujours quelques-uns de ces moments ordinaires qui représentaient la majorité de la vie de Clément. Cela ne m’empêche pas de les chercher partout où je peux. Je tiens à vous rassurer toutefois que cette quête ne prend pas le dessus sur le cours de ma vie. Je prends le temps de profiter des moments ordinaires de mon quotidien, après-Clément, des moments passés seule, avec mon conjoint, avec mes proches et mes ami-es, et même au travail. Je ne dis pas que j’y arrive parfaitement. Chaque jour est un apprentissage et , en me poussant à établir une nouvelle routine sans mon vieux chaton, le deuil devient ainsi une opportunité pour examiner mes priorités. Faire revivre mon Clément dans mon coeur n’est donc pas mon seul but. Ou peut-être est-ce plutôt que de continuer à vivre les différentes dimensions de ma vie est nécessaire pour le faire revivre…




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