Deuil en cours quelque peu avivé bien qu’entrecoupé de tranches de Miaougraphie
J’ai commencé il y a quelques semaines mon bilan personnel pour l’année 2023. Étant donné la distance qui sépare ce début de l’exercice au commencement de l’année, j’imagine que je pourrais en faire un bilan d’une année et demie à la place, mais je m’en tiendrai sûrement à la période normale pour que la suite suive son cours logiquement. Je ne savais pas exactement pourquoi j’avais attendu si longtemps pour entamer le processus. La réponse s’est imposée rapidement, avec les premières larmes qui ont jailli en pensant que Clément était encore parmi nous au tout début de l’année 2023, puis tout a basculé. Pas facile de dresser le bilan d’une année comme celle-là. Je songe d’ailleurs à faire une version simplifiée de mon bilan qui prend habituellement de 7 à 10 pages dans un format lettre, question de ne pas étirer le processus plus qu’il faut, surtout que le temps avance rapidement. La moitié de l’année 2024 est déjà plus qu’écoulée. Écrire sur mon bilan annuel 2023 me fait réaliser que 2024 sera la première année complète passée sans Clément… ça s’annonce rude pour janvier/février 2025. C’est encore loin cependant, ne nous attardons pas là-dessus aujourd’hui.
À ce point-ci, vous devez sans doute vous demander quel est le lien entre le titre de mon billet et le sujet. Voyez-vous, revenir sur ces premières semaines de 2023 m’a rappelé certaines choses et surtout, en préparant mon bilan, j’ai jeté un coup d’oeil à celui de l’année d’avant où un détail m’a frappé. C’est un réflexe que j’ai à chaque nouvel exercice annuel que de revoir le bilan de l’année précédente, afin de m’inspirer de la structure et de comparer un peu. Chaque année, je revois un peu mon approche. Bref, en écumant les hauts faits de 2022, j’y ai repéré une donnée particulièrement marquante : décembre 2022 a été un mois record de lectures pour moi, 32 livres (tous formats confondus) lus. Pourquoi c’est important ? La majorité de ce temps de lecture a pris place à la maison, c’est-à-dire aux côtés de mon compagnon de lecture préféré. Et oui, le nombre de mes lectures de décembre témoigne d’une grande quantité de temps passé auprès de Clément !! Un détail qui vous paraît peut-être anodin, mais pour moi, ce fut une révélation ! Une révélation, qui a allégé quelque peu ma conscience.
Si vous avez lu certains de mes textes « Deuil en cours » des premiers mois, vous vous rappelerez peut-être combien j’avais l’impression de ne pas avoir suffisamment profiter de la présence de Clément durant les semaine précédant son euthanasie (qui n’était pas planifiée du tout, pour ceux et celles qui ne savent pas, Clément semblait bien aller jusqu’à quelques jours du jour fatidique). Ce nombre de 32 lectures ne vient pas renverser totalement cette impression, puisque c’est un fait que j’ai travaillé de longues heures en janvier 2023, que j’étais souvent vidée d’énergie à la fin de mes journées et que j’avais peu de concentration pour tout ce qui m’entourait (ou même me concernait personnellement). Toutefois, ce nombre remet en perspective cette impression de ne pas m’être imprégnée de la présence de Clément dans ses dernières semaines avec nous. Me rappeler ce fait m’a fait réaliser qu’en décembre, je n’étais pas dans le même état d’esprit qu’en janvier, que j’avais passé beaucoup de temps en compagnie de Clément, à lire entre autres, et surtout que lui avait pu profiter de ma présence énormément. 32 livres, c’est au moins autant de fois que bébé chat a pu profiter de ma présence, parce qu’entendons-nous, quand je lis, je suis surtout concentrée sur l’histoire entre mes mains et donc, très peu sur le petit être rouquin qui se love à mes pieds, ou recouvre mes jambes en partie, ou se serre contre moi. Néanmoins, pour Clément, je pense que ma présence lui suffisait amplement la majorité du temps. Ce n’est pas pour rien qu’il aimait nos moments douillets à lire. Il savait bien que durant ce temps, je n’irais nul part ailleurs physiquement, que je demeurerais à ses côtés pour de longues périodes, la majorité du temps.
Voilà ce que ce nombre de 32 chiffres m’a fait réaliser : toutes ces heures de lecture en compagnie de mon adorable petit roi, toutes ces heures où il a pu apprécié ma présence tout près de lui, toutes ces heures où il a pu engranger tout plein de mon amour pour lui ! Ça, c’est mon ultime réalisation suivant cette miraculeuse découverte : pendant que je me perdais entre les pages d’un bon roman ou d’une bande dessinée ou un autre livre, Clément, en s’installant près de moi, venait chercher de l’affection. Pas le type d’affection qui nécessite des marques ou des mots, non de celle qui requiert seulement la présence de l’autre. En toute franchise, c’est quelque chose que la psychothérapeute que j’ai consultée dans les semaines suivant la mort de Clément m’a dit qui a fait boule de neige, plus d’un an après. Les animaux, et particulièrement les chats, vont chercher l’amour dont ils ont besoin. Ils n’attendent pas qu’on leur donne. Oui, les patouilles, les caresses, les câlins peuvent être des moyens de partager notre amour avec nos petits félins, toutefois, ce ne sont pas les seules façons pour eux de faire provision de notre amour. Au moment où elle m’avait dit cela, je comprenais ce qu’elle voulait dire, mais cela ne changeait pas grand-chose dans comment je me sentais par rapport aux semaines finales de la vie de Clément, jusqu’à ce que je tombe sur ce nombre. La quantité de livres en soi, que ce soit un record personnel ou non, ici c’est peu important ; ce que ce nombre démontre, c’est que mon vieux chaton a eu amplement d’occasions de profiter de moi durant son avant-dernier mois complet de vie, et même quelques-uns en janvier, même si je n’étais pas toujours pleinement consciente de sa présence à mes côté pendant que je lisais. Pour lui, j’étais proche de lui et, je ne dirais pas, surtout pour janvier, que ça lui suffisait, mais au moins, il pouvait continuer de s’envelopper dans mon amour.

Suivant cette réalisation, je me suis également rappelée du fait que je me suis réveillée plus d’une fois dans les dernières semaines, voire mois de vie de notre petit roi le bras gauche dans un drôle d’angle parce que Clément était venu s’y installer quelque part dans la nuit. J’avais d’ailleurs d’étranges douleurs au coude gauche depuis novembre 2022 qui se sont estompées rapidement après le décès de Clément. Je soupçonne que je me cognais fréquemment le coude sur ma table de chevet… En tout cas, mon point n’est pas sur cette douleur lancinante, mais sur cette autre façon dont Mément venait chercher de l’amour à mon insu. Ainsi, Clément est loin de s’être privé de mon amour dans ses derniers temps parmi nous, même si je n’ai pas manifesté consciemment une bonne partie de cet amour qu’il a engrangé.
Si j’y réfléchis bien, je trouverais sans doute d’autres exemples de comment il s’abreuvait de notre amour sans que nous ayons à poser d’action spécifique ou sans que nous ne disions un mot. En fait, j’en ai déjà un autre qui me vient à l’esprit. Durant cette période de fin de vie, j’avais remarqué qu’il nous collait beaucoup, mon conjoint et moi, durant nos moments devant le téléviseur. Ça faisait un moment qu’il ne s’était pas installé aussi souvent dans le peu d’espace qui nous séparait tous les deux. Et il ne s’immisçait pas de la sorte juste pour avoir des patouilles. Il était souvent juste content d’être près de nous deux. Je pense que tous ces moments où Clément faisait provision à sa façon de notre amour pour lui démontre une autre instance de sagesse féline pour nous tou-tes. Les marques d’affection, les mots d’amour, c’est important, oui, mais ce ne sont pas les seules façon de répandre notre amour. Cet amour, il peut irradier de nous, de notre présence, de notre écoute, de notre silence. Je pense que bell hooks ne serait pas en désaccord avec ce constat, car aimer est avant tout une façon d’être.
Je vous avoue qu’écrire ce texte m’a profondément remué. Les mots coulaient pourtant sous mes doigts, quoi que presque aussi fluidement que les larmes. J’ai l’impression d’avoir dû extirper de mon être les phrases ci-dessus, lettre par lettre, point par point. Ça faisait un long moment depuis que j’ai été autant secouée durant la rédaction d’un texte. J’ai parfois eu le souffle coupé par l’émotion en le tapant. Oui, les réalisations évoquées ci-dessus ont réellement allégées ma conscience en lien avec les derniers moments de Clément, cependant, cela n’empêche pas ce sujet d’être très sensible pour moi. Les derniers mois de vie de Clément, et mon amour pour lui, sont après tout des sujets intrinsèquement liés à la tristesse, au désarroi que je ressens face à sa mort.
Je pense que si je suis malgré tout parvenue à maintenir le flot de mon écriture, avec à quelques pauses de mouchage de nez, c’est que j’ai attendu quelques semaines avant de mettre en forme ces idées découlant de l’exercice de mon bilan annuel (notez que j’ai aussi mis quelques semaines avant de réviser et éditer le tout pour publication, ayant rédigé le tout au début de juillet). Elles ont eu le temps de se matérialiser et de se consolider, suffisamment pour que je puisse les exprimer aisément. Ce recul pour écrire est tout en contraste avec le besoin immédiat de mettre en mots mes émotions les plu crues qui m’habitait durant les premiers mois d e mon deuil. La différence étant sans doute que quand j’étais à vif la majorité du temps, confronter ma tristesse n’avait pas un gros impact sur mon humeur, tandis qu’étant moins constamment à vif, aborder des sujets fortement émotionnels expose de nouveau les plaies de mon cœur.
Cela étant dit, je pense que contrairement aux blessures marquant l’épiderme, il peut être souhaitable de réouvrir les plaies du coeur pour les aider à mieux cicatriser. C’est pourquoi je n’hésite pas à explorer des sujets qui peuvent me causer de la peine. Et puis, mon chagrin, qui bien que beaucoup moins envahissant qu’en 2023 demeure très prégnant, puise dans tout l’amour que je ressens encore et toujours pour mon cher Clément. D’ailleurs, je conclurai simplement en soulignant que ce texte, au-delà des larmes versées dans le cours de sa rédaction, représente une source de réconfort pour moi, et même, probablement, une source de joie !





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