Deuil en cours

J’ai soigneusement évité les mots « perte » et « perdu » jusqu’à maintenant et cela était un effort conscient. Au début de ce deuil, je me rappelle avoir pensé automatiquement cette expression si couramment utilisée pour parler d’une personne décédée : « J’ai perdu Clément. ». Je me suis toutefois ravisée rapidement, je n’ai pas perdu Clément, je sais bien où il est, comment il est mort. De plus, je me suis rendue compte qu’il vit encore en moi ; j’ai toujours mes souvenirs de lui et personne ne peut me les enlever. Ainsi, j’ai constaté que la mort n’est pas une perte en tant que telle pour moi. Une absence, oui ; une fin, oui ; un commencement, oui ; une perte, ça dépend… Si Clément était disparu dans une masse d’eau ou égaré dans la ville sans que nous retrouvions jamais son corps, je l’aurais conçu comme une perte. Mais je sais où et comment il a trépassé, ce qui est advenu de son corps et où il a été incinéré. Je sais bien où est mon chat et bien qu’il ne soit plus parmi nous en chair et en os, il demeure et demeurera à jamais dans nos coeurs. Je ne l’ai pas perdu, je ne perdrai pas Clément. Je pleure sa mort, son absence, la finalité de son existence, le début d’un nouveau pan de ma vie sans lui, mais pas sa perte!
Cette semaine, comme nous approchons la fin du premier mois entier sans notre roi court sur pattes, mon conjoint et moi avons préparé un petit rituel funéraire pour souligner le Grand départ de Clément de notre vie. Sur la suggestion de la conseillère que je consulte, nous avons décidé de procéder à une cérémonie en toute simplicité pour reconnaître son décès, tout en soulignant ses quinze belles et longues années d’existence à nos côtés. Une étape pour laquelle je n’étais pas préparée et que je ne savais pas comment l’aborder. Quelle forme cela devrait avoir, un rituel funéraire pour un compagnon animal ? Quels gestes devrions-nous poser ? Nous n’avons pas conservé ses cendres et n’avons donc pas cela à intégrer dans cette cérémonie que nous préparons. Sur le coup, l’inspiration me fuyait. Je ne suis pas très cérémonie en général, mais j’aime souligner les petits et grands événements de la vie. Alors, j’ai pensé aux éléments qui ont défini, selon moi, l’existence de Clément et surtout ceux qui n’ont pas été inclus dans nos aurevoirs ou dans les dernières semaines de vie de Clément.
Ruban, lait, fleurs, me sont venus en tête en premier. Ensuite, considérant tous les mots que j’ai pondus depuis son décès, une courte éloge m’apparaissait un prérequis. J’ai échangé ces idées avec mon conjoint ; lui non plus, ne savait pas trop comment aborder le processus. Lui est venu l’idée de bricoler une belle affiche commémorative, avec le nom et la forme d’un chat, un coeur, une vieille couronne dorée en carton dont nous nous sommes servis quelques années lors de la Fête des rois. Il m’a invité à y apposer ma touche, j’ai dessiné des moustaches et des yeux à la forme de chat, ajouté un ruban/noeud papillon à cette dernière, et découpé une étoile à coller près du coeur.

Demain, 13 heures, nous ferons notre petite cérémonie dans la cour, près de la clôture devant laquelle Clément aimait se tenir durant la belle saison pour observer la faune urbaine à l’abri. Nous avons invité quelques amis, mais c’était un peu dernière minute, nous ne serons pas beaucoup. Tout de même, à distance, vous pouvez avoir une pensée pour Clément, lui adresser avec nous un dernier aurevoir vers 13 heures demain. Ce sera simple : quelques mots, un peu de lait versé, un ruban attaché à la clôture en sa mémoire avec une ou deux fleurs. Tenzen sera avec nous cette fois-ci…
Je ne soulignerai donc pas la perte de bébé chat demain, mais la fin de sa majestueuse existence. et ce, bien que je ne sache pas exactement où sont les cendres de Clément. En effet, je ne sais pas exactement comment le crématorium pour animaux disposent des cendres des incinérations communes. Je n’ai pas pensé à poser la question et comme j’avais déjà appelé deux fois en une semaine, j’ai décidé que ce n’était pas si important de savoir exactement comment on en dispose « selon les lois environnementales auxquelles on est sujet ». (J’ai d’abord appelé pour vérifier la livraison du produit commémoratif comme ce n’était pas clair sur le bon de commande – chez le vétérinaire. Puis, pour avoir une idée du délai, parce que je surveillais fréquemment le lien qu’on m’avait envoyé par courriel et que je stressais un peu…)
En écrivant sur ses cendres, ça me fait penser que je regrette un peu d’avoir opté pour l’incinération commune. Peut-être aurions-nous pu récupérer son corps au final et choisir l’endroit de son dernier repos. Peut-être aurai-je préféré avoir ses cendres et choisir comment en disposer moi-même… je ne pense pas que je les aurais conservé dans une urne pour autant. En fait, je regrette surtout le fait de n’avoir jamais pris le temps d’y penser en quinze ans, de n’en avoir jamais discuté avec mon conjoint. Quand la technicienne qui nous a fait remplir les papiers d’euthanasie et de disposition du corps nous a posé la question, je me suis sentie un peu stupide justement parce que nous n’avions jamais adressé cette possibilité. Que nous en n’ayons pas parlé la veille, quand nous espérions encore pouvoir sauver notre Mément, n’est pas surprenant. Ne pas adresser l’éventualité la rendait moins probable… Néanmoins, qu’en vivant avec un chat vieillissant nous n’ayons pas pensé à discuter sur le sujet m’a pris de court à ce moment-là.
C’est un détail, une pacotille qui peut déclencher des sentiments difficiles quand on ne veut pas faire face à la perspective de la mort de son petit compagnon poilu, mais en même temps, être en pleine crise et devoir adresser ces questions, ce n’est pas plus facile! Croyez-moi sur parole. Je recommande fortement à tout humain d’un chat, d’un chien, ou autre petit animal, de prendre un moment pour y penser et surtout, échanger si d’autres humains vivent avec vous. De toute façon, une décision peut être changée au besoin, et y avoir réfléchi et partagé ses positions risque de faciliter le processus, le moment venu. Après tout, on ne sait ni quand cela surviendra ni à quelle vitesse cela arrivera ; notre histoire avec Clément le démontre bien. Nous n’avons pas vu sa mort venir et quand nous avons été confronté à la fatalité de sa vie de félin, nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour considérer ces petites et grandes décisions entourant ses derniers moments auprès de nous. Face à cette imposante épreuve, ce n’est qu’une vétille, mais une vétille sur laquelle nous aurions pu ne pas accrocher si nous en avions discuté.




Répondre à Une cour, s’il n’y a plus de roi, existe-t-elle toujours ? – Miaougraphie de Clément Annuler la réponse.