Miaougraphie de Clément

La suite d’un feuilleton de Noël, servie sur un fond de deuil en cours
Je pense aux doux Noëls du passé visités lors de la nuit précédente. Oui, il y a un brin d’amertume qui perce, pour tous ces réveillons que je n’ai pu savourer avec Clément, toutes ces saisons des Fêtes qui se succèderont sans lui. Tout de même, je ne perçois pas de leçon qui ressort de cette première visite. Ma réflexion est interrompue par le tintement des dispositifs de sécurité autour du sapin de Noël qui résonnent. C’est que même pour ce premier Noël sans chat, nous avons accroché sur les branches inférieures les décorations qui sont ornées de grelots ou de petites cloches, ce que nous faisions du temps de Clément pour être avertis s’il traînait dans les parages du sapin. Qu’est-ce qui peut avoir provoqué leur entrechoquement aujourd’hui? Il n’y a pas un chat dans l’appartement pour les déclencher et mon conjoint est déjà couché. La porte d’entrée s’est-elle ouverte sous l’effet d’un coup de vent ? Non, je l’aurais entendu dans le silence relatif de notre demeure. Je me lève pour investiguer. Ah voilà ! J’aurais dû m’en douter, en train de scruter les ornements du sapin, se trouve l’esprit du Noël présent. Je m’attendais à sa visite, bien que j’ignore ce qu’il pourrait bien me vouloir. Je ne me sens pas l’âme d’un Ebenezer.

Que pourrait-il me montrer que je ne peux anticiper déjà ? Je suis allée au party de pré-Noël que nous avons l’habitude, mes soeurs et moi, de célébrer avec mon père (mes parents étant divorcés, nous nous réunissons avant Noël avec mon père, comme ça, nous n’avons pas à choisir entre papa ou maman pour le réveillon, ou papa et belle-famille pour le Jour de Noël). J’aurais pu opter de ne pas y assister, mais je m’y suis rendue. Tout comme, je prendrai part au réveillon de Noël en famille, à moins qu’un imprévu s’en mêle. Mon Noël présent est bien entamé. Je ne resterai pas enfermer à la maison à ressasser mon chagrin de ne pas le passer avec Clément à nos côtés. Ou est-ce pour me prévenir d’un possible imprévu que l’esprit est là ?

Non, ce n’est pas pour cela, les yeux du fantôme semblent me dire, et nous partons sur les chemins peu enneigés direction chez ma mère. Il me montre les cadeaux déjà emballés, étiquettés, prêts à être déposés sous le sapin. Puis, il nous projette chez ma plus jeune soeur où la cuisine sent bon les plats qu’elle et son mari ont commencé à mitonner en prévision du réveillon. Ce sont eux qui préparent la majorité du repas depuis quelques années déjà. Nous passons devant les boîtes de biscuits confectionnés par ma soeur qu’elle s’apprête à offrir à chaque famille qui sera présente au réveillon. J’en vois une réservée pour mon conjoint et moi. L’odeur de sucre et de chocolat emplit mon nez, mais le fantôme ne me laisse pas y jeter un oeil de plus près, malgré que lui en a enfourné quelques-uns pendant que je regardais ailleurs, les miettes sur son col le trahissent.

Je veux profiter de cette visite fantomatique pour saluer les deux chattes de ma soeur, mais l’esprit du Noël présent ne m’en laisse pas l’occasion et nous repartons. Un dernier arrêt avant de rentrer, un dernier arrêt avant la fin de la nuit. Nous atterrissons chez une de mes amies. Nous la trouvons en train de rédiger soigneusement ses cartes de souhait pour les membres de sa famille et ses amis. À voir les timbres qui traînent à côté, je me dis que nous avons reculé légèrement à il y a quelques jours. Pas le temps de traîner, le fantôme me ramène chez moi, dans mon salon bien décoré, sapin, guirlandes, lumières, décorations festives, cannes de bonbon, un vrai petit paradis festif et hivernal ! L’odeur des épices à tourtière nous accueille. Ma farce s’est à peine refroidie le temps de ces visites-éclairs chez mes proches. Moi aussi, je me prépare pour les Fêtes, comme ma mère, comme ma soeur, comme mon amie.

L’air dubitatif de l’esprit interrompt mon argument. Son regard se baisse vers le plancher. Sous le sapin, la couverture servant de tapis est bien visible, à peine camouflée par les aiguilles tombées. Pas un présent, pas un sac cadeau ne se trouve sous le sapin. Et puis, la cuisine, presque vide, j’ai eu toutes les peines et les misères juste pour entamer la préparation en cours de ces tourtières. L’esprit du Noël présent n’est pas dupe, il sait que j’ai changé d’idée et que je ne compte plus confectionner les friandises que je prévoyais mitonnées pour offrir en cadeau à mes proches ou du moins, pas quelque chose d’aussi élaboré. Je comprends le message pour la suite, je sais bien que je n’ai même pas encore sélectionné les cartes pour chaque personne à qui je compte en remettre. Oui, j’ai l’habitude d’être à la dernière minute pour celles-ci (la majorité étant remise en main propre, je n’ai pas à m’inquiéter du délai de la poste), mais ça reste qu’il sait comme moi que je traîne les pieds plus qu’à l’habitude.

Le Présent est lourd cette année, qu’est-ce qu’il veut ? Rien n’y changera. Pas sa visite, pas sa bonhomie, pas sa jovialité. Là-dessus, je me dis que le fantôme doit être sur le point de se dissiper, l’aube n’est-elle pas en train de poindre le bout de son nez en trompette ? Mais voilà, qu’il manipule avec délicatesse une des boules du sapin, une de celles peinturées par mon conjoint et moi. Celle-là, en est une réalisée par mon conjoint et elle provient de notre deuxième fournée de boules peinturées, pas de la fournée des rescapées de la chute désastreuse de 2013 (que je réitère, n’a pas été causée par Clément). Cette boule représente un chat roux comme Clément tout près d’un sapin de Noël et de cadeaux. Oui, Clément a une place dans notre Noël encore, et toujours. De bien des façons dont cet ornement est un exemple, Clément célèbre le temps des Fêtes avec nous.

Je repense aux Noëls de bébé chat visités la veille grâce à l’esprit des Noëls passés. Je réalise que j’ai beaucoup d’histoires festives à raconter. J’avais l’impression d’avoir très hâte de vous les partager et j’en avais amorcé plusieurs dans ma tête, ici et là, mais aucunes n’avaient encore abouti, du moins, avant ce bref retour vers les Noëls passés. Je pensais que ce n’était qu’une question de temps ; j’avais été trop occupée jusqu’à maintenant pour les aborder. Néanmoins, je me rends compte comme mon coeur pince devant le spectacle de doigts spectraux caressant l’ornement représentant Clément que les émotions pèsent aussi dans la balance. J’ai peut-être évité de m’immerger dans les eaux glaciales de ma mémoire pour y puiser les souvenirs de Clément afin de ne pas assombrir plus qu’il ne l’est déjà mon temps des Fêtes, sans prendre pleinement conscience de ce contournement involontaire. À en juger par les grosses larmes qui ont déferlé durant le revisionnement de Noëls passés avec le premier fantôme, le portrait semble juste. Durant ce mois de décembre, premier sans notre petit roi, j’ai peut-être fait deux pas en arrière dans le cheminement de mon deuil, pour chaque pas en avant.

Je me rends compte que le fantôme du Noël présent a quitté. Les rayons du soleil s’avancent à tâton dans le salon autour de moi. Je frissonne légèrement, cette nuit a été bien froide. J’imagine que demain soir, l’esprit des Noëls futurs viendra, bien que je ne vois pas trop ce qu’il pourrait me montrer qui pourrait provoquer une révélation extraordinaire. Je sais déjà ce que j’ai à faire pour ce Noël-ci. Surtout, je suis bien entourée et ne crains pas de mourir seule comme Scrooge. Et s’il me montre un futur lointain parent de Clément sous le sapin, je ne pense pas qu’il verra l’effet escompté dans ma réaction. Ce n’est pas ce qui m’apaisera. Je tasse ces questions de ma tête ; ça ne me sert à rien de tenter de deviner, de toute façon, encore faudrait-il qu’il se manifeste vraiment. En attendant, je dois me concentrer sur mes préparatifs de Noël qui doivent progresser si je ne veux pas manquer le train et j’ai des histoires de Clément à Noël à mettre en mots et en images. Si je veux y arriver sans course effrénée, il faut que j’y verse un peu plus de coeur…

Après la visite de l’esprit du Noël présent, tout semble un peu plus facile. Mes tourtières sont cuites, j’ai commencé à préparer mes cartes, je m’apprête à emballer les cadeaux qui sont prêts et j’ai même pris le temps avec mon conjoint de réparer nos vieux ornements brisés et peinturés de nouveaux ornements. Je vous laisse deviner quels casse-noisettes ont été réalisés par mon conjoint et lesquels par moi.

La suite et fin de ce feuilleton arrivera plus tôt que vous ne le pensez, enfin, j’espère.

Note : Pour avoir une idée de ce qu’on entend par tourtière au Québec, je vous laisse le lien de la recette d’Épices de cru que j’utilise personnellement (et je m’inspire du mélange d’épices vendu par cette enteprise pour faire le mien).