Lettre au Maître noël des chats

Un feuilleton de Noël qui arrive à sa finale et devient… une entrée pour l’Agenda ironique de décembre (pour les détails de l’AI de décembre, c’est sur le blog de La Licorne ici)

Le troisième soir arrive et je ne prends pas la peine de me coucher, bien que j’ai fini tout ce que je voulais accomplir. Le tic-tac de l’horloge est le bruit le plus fort que j’entends et puis, il semble se taire ou du moins, venir de plus loin que quelques pas. Je lève les yeux pour rencontrer ceux de l’Esprit des Noëls futurs et c’est reparti pour une mystérieuse nuit…


L’air tristounet qu’Hélène affichait en contemplant le sapin paré de ses plus beaux atours de lumière, de guipure et de figurines ne donnait pas une image claire de l’amour invétéré de la petite fille pour Noël. La voix de maman Rose tira Hélène de sa contemplation de l’espace vide sous le sapin.

« Hélène, maman Juliette voulait savoir si ta lettre au Maître Noël était prête. Elle part dans quelques heures pour son voyage d’affaire et elle ne veut pas oublier ta lettre afin qu’elle arrive à temps au Pôle Nord, » lui dit maman Rose. Maman Juliette était designer industriel spécialisé dans la fabrique de jouets. Chaque année, vers la mi-décembre, elle passait quelques jours loin dans le Nord à la conférence annuelle des fabriquants de jouets où se tenait le gala soulignant les meilleurs jouets dans différentes catégories pour l’année.

Hélène fit signe que non et haussa les épaules d’un même mouvement. Sa maman eut peine à cacher son air catastrophé et l’incita simplement à se dépêcher.


Je ne comprends pas la scène qui se présente sous mes yeux et je ne peux m’empêcher d’interpeller le fantôme qui m’a entraîné ici pour comprendre pourquoi il m’a emmené ici. Je ne reconnaîs pas cette Hélène, et encore moins sa mère Rose. Puis, je ne connais qu’une Juliette qui est loin d’être designer industriel. Pourquoi sont-elles dans la vision du futur qu’il me montre ? L’esprit, visiblement irrité d’être interrompu dans son travail, me pousse vers la petite et mon être translucent se superpose à cette dernière. Je peux tout d’un coup percevoir les choses du point de vue d’Hélène.


Habituellement, Hélène aurait été en train de danser autour du sapin, comptant et recomptant le nombre de ses aiguilles, parce qu’elle perdait toujours le compte. L’année passée, elle avait dû reprendre du début autour de cent vingt, l’année d’avant, autour de soixante-cinq, et encore plus longtemps avant, à peine avait-elle atteint trente qu’elle avait dû tout recommencer. Ordinairement, elle aurait passé la journée d’hier à décorer des centaines de biscuits avec maman Juliette et elle serait en train d’attendre impatiemment le surlendemain pour la journée où maman Rose et elle se pelotonneraient sous une grosse couverture chaude pour visionner un de leurs films favoris de Noël. À la place, elle était affaisée sur le divan, les yeux dans le vague. Hier, elle avait à peine décorer un biscuit, déversant une couche de près d’un mètre d’épaisseur de glaçage sur un seul petit biscuit. Maman Juliette avait tenté de tourner le tout à la blague en clamant que c’était un biscuit buissonnier de Noël. Hélène n’avait pas ri, mais au moins, elle avait arrêté le flot de glaçage de sa poche de pâtisserie, quoi qu’il en restait de toute façon bien peu à l’intérieur.

Quant au surlendemain, ça ne valait pas la peine d’y penser. Hélène aurait habituellement déjà sélectionné le film qu’elle regarderait cette fois, puis changé d’avis, avant de trancher à nouveau pour finalement choisir un quatrième titre à la place… mais là, elle n’y avait pas accordé la moindre pensée. Parce que cette année, tout était TOTALEMENT différent. Son monde avait été chamboulé le jour où ses mères et elle ne ramenèrent pas Vespéral de sa visite à la clinique vétérinaire. Vespéral, le plus adorable des chats péroreurs de l’univers entier, n’était plus. Il s’était assoupi pour la dernière fois entre les murs de la clinique. L’événement bouleversant avait eu lieu il y a plusieurs mois déjà, presque huit, Hélène les égrenait un à un depuis. Jusqu’à tout récemment, elle semblait aller mieux, puis, une musique festive s’était glissée dans son oreille. Puis, les bulbes de forme allongée et de toutes les couleurs s’étaient allumées. Puis surtout, le sapin avait été monté dans le salon et tous les souvenirs des cent coups de Noël que Vespéral et elle commettaient à chaque année étaient remontées à la surface, hantant ses jours, noyant ses nuits. La mémoire d’Hélène s’étalait sur tout le dessus de la cheminée, autant de bibelots qu’elle avait plus d’une fois eu envie de renverser cette année et qu’elle essayait de ne pas voir pour éviter de causer une catastrophe. Maman Rose était si fière de sa collection de maisonnettes en céramique parées de leurs habits hivernaux et festifs. Des années à les ramasser, une à une, et à les dépoussiérer, une à une chaque année pour les Fêtes, des années à empêcher Vespéral de s’immiscer au sein de ce fragile village, des années qui pourraient bien partir en poussière si Hélène n’arrivait pas à se contenir !


Je n’en peux plus, je m’insurge ! Si c’est une leçon sur le deuil et comment ça s’immisce dans tous les recoins du quotidien, même ceux qu’on ne soupçonne pas ou beaucoup moins quelques temps après de la mort de l’être cher, je pense que je n’en ai pas besoin. J’ai eu ma part belle du gâteau déjà à ce sujet. Et puis, cette citation est toute défigurée, c’est  » La mémoire est comme le dessus d’une cheminée. Pleine de bibelots qu’il sied de ne pas casser,.. « . Une voix pépitante interrompt ma tirade. C’est l’esprit qui s’adresse à moi. Moi qui pensait que l’esprit des Noëls futurs, la Mort personnifiée, était silencieux. Le fantôme me dit impérieusement : « Observe bien, écoute bien ce qu’Hélène vit, car ton Noël futur est de mettre par écrit son histoire et de la partager pour l’agenda ironique de décembre. Pour Scrooge, la Mort était l’esprit des Noëls futurs dont il avait besoin. Pour toi, c’est différent. Je suis l’Inspiration et c’est de moi que tu auras besoin pour tes Noëls futurs. »

Je me dis que j’espère qu’ils seront nombreux alors et, bien sûr, le fantôme a saisi ma pensée au passage et de rétorquer : « Ne pousse pas ta chance. Je ne t’en dévoilerai pas plus sur la qualité et encore moins la quantité de Noëls futurs qu’il reste. Contente-toi de profiter de chacun. ». Me voilà doublement remise à ma place. Je me concentre de nouveau sur la scène, cette fois, enregistrant mentalement chaque détail, chaque ressenti, afin de retranscrire tout cela dès mon retour (peu importe l’heure qu’il sera de la nuit ou du petit matin).


L’humeur d’Hélène s’était aigrie plus les signes avant-coureur de la saison festive s’étaient accumulées. Maman Rose et maman Juliette faisaient leur possible pour la divertir, mais tout ce qu’Hélène voulait pour Noël cette année s’était retrouvé Vespéral en chair et en os, vibrant de vie et de bêtises.

La fillette de peine et de misère se releva de sa position avachie. Sur la table à café, quelques feuilles éparses traînaient auprès de quelques crayons feutres colorés. Sans réfléchir, Hélène en saisit un et fixa la feuille sur le dessus de la pile. Et la fixa. Et la fixa. Le crayon feutre suspendu à quelques centimètres du papier ne démontrant aucun signe de vouloir se poser. Ce n’était pas la première fois qu’Hélène essayait de composer sa lettre au maître Noël, mais elle ne savait pas quoi demander ou plutôt si, elle savait parfaitement ce qu’elle voulait écrire, tout ce qu’elle ne pouvait demander. L’absence d’autres idées conjuguée à la sensation d’être pressée la mit en rogne. La petite fille jetta rageusement son crayon contre la feuille, rédigeant sa lettre.

« Cher Maître Noël,

Je ne veux pas de jouets cette année qui n’ont pas été testé par mon fidèle inspectreur poilu. Je n’ai que faire des friandises qui ne peuvent être gardés par mon dragon chat. Pas de vêtements non plus qui ne serviront jamais de nid à un copain à quatre pattes. Tout ce que je veux, c’est Vespéral. Ramène-moi mon Vespéral. C’est un chat garçon de dix ans, tout noir sauf le bout de la queue, une tache en forme de buisson sur le ventre et une mitaine sur une patte arrière blanches. Tu ne peux pas te tromp-« 

Hélène suspendit son crayon, un bruit avait attiré son attention. Sous le sapin, s’agitait une des décorations posées expréssement pour Vespéral, à sa hauteur, les trois cloches en tissu décorées de guipure, mais qu’est-ce qui pouvait les avoir fait retentir ainsi ? Hésitante, la fillette se leva et fit quelques pas vers le sapin avant de s’arrêter à mi-chemin. À quoi cela servirait d’aller voir sous le sapin ? Devait-elle juste se rasseoir ? Durant cette pause, Hélène sentit comme un petit corps frôler légèrement sa jambe. L’impression ne dura qu’un instant, mais elle l’avait reconnu. C’était la même sensation qu’elle avait vécu des milliers de fois lorsque Vespéral se frottait contre sa jambe pour avoir de l’attention, pour qu’elle remplisse son bol d’eau, pour qu’elle rafraîchisse ses croquettes. Elle se tourna brusquement, appelant d’une voix chevrotante son Vespéral chéri. Seul le silence lui répondit. Pas l’ombre d’un poil de chat nul part.

Malgré tout, son petit coeur fit trois tours et se mit à se réchauffer rapidement. Hélène avait soudainement la certitude que Vespéral était près d’elle même s’il n’était plus tout là. Son compagnon des cent coups de Noël continuait à veiller sur elle. Cette réalisation l’emplit de joie, bien qu’une teinte de chagrin demeurait présente. Pourquoi ne s’en était-elle pas rendue compte avant ? Probablement parce que Vespéral était rarement près d’elle, traînant plutôt dans les pattes du Maître Noël. Ses mères lui avaient bien expliqué que Vespéral était parti loin dans le ciel et qu’il ne reviendrait plus. Et le ciel, il allait jusqu’au Pôle Nord !

Hélène se réinstalla pour poursuivre sa lettre. Elle s’appliqua, un bout de langue rose sorti du coin droit de ses lèvres, raturant plusieurs mots, en ajoutant d’autres pour enfin compléter sa lettre.

« Cher Maître Noël,

Je ne veux pas de jouets cette année ni de friandises. Tout ce que je te demanderai cette année, c’est que tu apportes une couverture chaude à mon chat Vespéral qui est mort ce printemps. Je suis certaine que tu peux le trouver. C’est un chat garçon de dix ans, tout noir sauf le bout de la queue, une tâche en forme de buisson sur le ventre et une patte arrière dont la mitaine est blanche. Tu ne peux pas te tromper. Il préfère les couvertures en peluche, de préférence de couleur rose ou mauve. C’est celle qui lui vont le mieux. Si tu peux garder un peu du lait que les enfants du monde te réserve pour ta tournée, je sais que ça lui ferait un énorme plaisir.

STP Maître Noël, prends soin de Vespéral pour moi qui ne peut plus le faire. Tu ne peux pas le sur-en-chérir. Vespéral a besoin de beaucoup d’amour tous les jours et on ne peut pas donner trop d’amour, c’est ce que maman Rose dit tout le temps.

Merci beaucoup et joyeux Noël,

Ta dévoué e Hélène. »

La filette dessina quelques ornements autour de son texte avant de plier la feuille et d’inscrire sur son dos l’adresse afin de pouvoir remettre la lettre cachetée à maman Juliette :

À Maître Noël
Loin dans le Nord, tout près de Vespéral.

32 réponses à « Lettre au Maître noël des chats »

  1. Avatar de Alice Rosa Stéphanie Vissers
    Alice Rosa Stéphanie Vissers

    Quelle jolie histoire illustrée ! C’est si doux, comme le pelage des chats. 🐈

    Aimé par 1 personne

    1. Je te remercie du plus profond de mon coeur Alice Rose pour votre nerveilleux commentaire. Cette comparaison me touche beaucoup.

      Aimé par 1 personne

      1. Avatar de Alice Rosa Stéphanie Vissers
        Alice Rosa Stéphanie Vissers

        Tu peux me tutoyer si cela fait moins froid et plus naturel. Je n’ose pas toujours tutoyer les gens sur l’internet même si le contact est sympathique. Je suis une de tes lointaines amies belges. J’ai fait lire ton blog à une amie de mon grand-père qui s’appelle Catherine. Elle recueille des chats de refuge chez elle. Elle a eu les larmes aux yeux en lisant ton blog pour la première fois. C’est quelqu’un qui aime les chats par-dessus tout. Elle m’a écrit que tu as l’art de mettre des mots sur des sentiments, des émotions…

        Aimé par 1 personne

      2. Ça me va le tutoiement. 🙂 Merci d’avoir partagé mes écrits à l’amie de ton grand-père. Son retour me touche beaucoup.

        J’aime

  2. Avatar de christinenovalarue
    christinenovalarue

    🧑‍🎄🐱

    Aimé par 1 personne

    1. Merci beaucoup ! Je pense que ta façon de jouer et interagir avec tes personnages m’a inspiré à mélanger le conte que j’avais commencé pour l’AI et mon feuilleton de Noël pour l’esprit du Noël futur. 🙂 Bon réveillon ! 🎄❤️

      Aimé par 1 personne

      1. Heureuse de t’avoir inspirée ☺️

        Aimé par 1 personne

  3. Such a beautiful story indeed!😊😺🎄

    Aimé par 1 personne

  4. C’est vraiment superbe, Marie-Luce ! Bravo !

    Aimé par 1 personne

    1. Merci Colette ! J’ai pris beaucoup de plaisir à l’écrire. 😊 Je suis contente que tu l’apprécies. Bon réveillon de Noël ! 💚🎄

      Aimé par 1 personne

      1. Bon réveillon à toi aussi !!!

        Aimé par 1 personne

  5. Nice post ♥️💚❤️
    Wish merry good night and Christmas.
    I hope we continue sharing likes and comments and thus WE GROW TOGETHER. 🙏
    A CORDIAL GREETINGS 👋🇪🇸 BLESSINGS 🌸🏵️ 🌷💐🎁

    Aimé par 1 personne

    1. Oh ! Merci pour le partage de ton ressenti à la lecture de mon petit conte. Ça me touche beaucoup. Passe un doux réveillon de Noël Justin ! 🎄💙☃️

      Aimé par 1 personne

    1. Merci beaucoup Francine ! Joyeux Noël. 😊☃️💙

      Aimé par 1 personne

      1. Joyeux Noël Marie-Luce ! 🎄😊💙

        J’aime

  6. Très joli et émouvant texte. Sans doute Noël nous évoque souvent plus de la nostalgie que de l’ironie, mais cela n’a aucune importance.
    C’est la magie de Noël.

    Aimé par 1 personne

    1. Ça dépend de l’expérience de chacun pour Noël j’imagine, mais pour moi, ça m’inspire définitivement plus de nostalgie que d’ironie ;). Merci John !

      J’aime

  7. Ailurophile moi-même, je ne peux qu’aimer un texte qui parle de l’amour porté à nos amis les chats 😊

    Aimé par 1 personne

    1. Je ne connaissais pas le terme, merci ! Je l’adopte volontiers. Entre ailurophiles, on se comprend. 😄

      J’aime

  8. Un texte inspiré et plein de tendresse…câline. J’ai beaucoup aimé.
    Merci pour ta participation…
    et une belle année (de janvier à la mi-août et de mi-août à décembre) ;-))

    Aimé par 1 personne

    1. 🥰 merci pour ce commentaire et ces voeux chat-lheureux ! Bonne et heureusr nouvelle année.

      J’aime

  9. Texte très émouvant, et consolateur à la fois; Une phrase « Durant cette pause, Hélène sentit comme un petit corps frôler légèrement sa jambe. « m’a rappelé, combien souvent, lorsque j’étais couchée, j’avais l’impression d’un tâtonnement sur le lit et des pas hésitants entre les creux et les bosses du lit… je contemplais des griffures sur la tapisserie…n’ai jamais supprimé les traces de pattes sur un rebord de fenêtre, …gardé un long poil de moustache…Merci pour ce texte.

    Aimé par 1 personne

    1. Leur présence demeure près de nous d’une certaine façon. Merci pour cette lecture sensible ! Ça me fait chaud au coeur. 😊

      J’aime

  10. Mes salutations j’aime bien votre pensée et les émotions qui s’y dégage

    Aimé par 1 personne

    1. Merci pour votre commentaire. 🙂

      J’aime

Laisser un commentaire