Tranche de Miaougraphie
Quand j’essaie d’évoquer l’image de Clément vivant récemment, j’ai souvent un peu de difficulté à le faire. Il m’apparaît plutôt flou, nébuleux, lointain. Je pense d’ailleurs que ça m’a sappé le moral. Qui plus est, peu de vieux souvenirs refont surface ces temps-ci, comme si j’avais épuisé ma réserve déjà… ce qui assombrit mon humeur quelque peu. Et puis, tout d’un coup, sans chercher à l’invoquer, un fragment de mon passé avec bébé chat refait surface ! C’est arrivé la semaine dernière, pendant que je faisais une tâche que j’ai pourtant répété de multiples fois depuis le décès de Clément : je balayais. Pourquoi à ce moment-là un souvenir auquel je n’avais pas pensé depuis bien avant sa mort a remonté ? Je ne saurais dire, tout ce que je sais, c’est que ça m’a fait sourire.
Voilà, je passais le balai dans la cuisine quand une impression s’est superposée au-dessus du plancher un bref instant, une impression de Clément plus jeune qui attaquait le balai. Je ne me souviens pas la dernière fois que c’est arrivé. C’est vrai que d’un côté, dans le partage implicite des tâches, mon conjoint s’en chargeait plus fréquemment que moi durant la fin de vie de notre vieux chaton. Alors, peut-être qu’il le faisait encore en vieillissant. En tout cas, plus jeune, c’était quasi-systématique, je sortais le balai et commençais à l’utiliser dans les parages de Clément et ça ne prenait pas de temps qu’il était aux aguets et qu’il sautait dans la mêlée. J’avoue que parfois je trouvais cela un peu inutile de balayer parce que Clément se roulait dans l’amas de poussière empilé et le répandait partout où il allait. C’était plutôt décourageant. Un plancher plus ou moins nettoyé, et un chat plus ou moins poussiéreux. Quant à utiliser l’aspirateur, Clément détestait tellement son bruit que nous évitions de nous en servir. Alors, nous balayions et Clément jouait.
N’allez pas croire que c’était un chat malpropre pour autant. Il se nettoyait assez régulièrement, utilisait tout le temps la litière et faisait rarement de dégâts à côté… sauf si sa litière n’était pas assez fraîche à son goût. Quand j’y pense, ce n’est pas si surprenant que ça comment Clément aimait jouer avec le balai qui était parfaitement à sa hauteur et qui empiétait, bien que quelques fois seulement par semaine, son territoire. Au moins, il jouait moins quand venait le temps de laver les planchers… sauf qu’il se faisait un devoir de superviser l’avancement de cette tâche et marchait fréquemment derrière nous. Quelques fois, il attendait que nous ayons fini et quitté la pièce pour faire son inspection. Si la pièce avait une porte intérieure, nous faisions une exception au principe de la porte ouverte et fermions la porte pendant que le plancher séchait. Autrement, des empreintes de pattes de chat risquaient d’y apparaître, même si seulement filigranes. Dans les pièces ouvertes, eh bien, c’était ça qui était ça. Il m’arrivait parfois d’essayer d’attirer Clément dans une autre pièce, comme en allant lire dans la yellow room en espérant qu’il me suive et reste près de moi suffisamment longtemps pour que le plancher soit plutôt sec.

Personnellement, j’ai appris très vite dans les premiers temps de notre cohabitation avec un félin que la propreté, c’est assez relatif et que ça se redéfinit constamment selon les habitants du logis. Les chats ont définitivement une conception de la propreté différente de la nôtre. Clément n’aimait pas avoir de saleté collé à lui, surtout sur ses pattes, et se laissait manipuler, voire nettoyé à la lingette humide lorsque requis. Toutefois, le grand ménage dans son royaume intérieur le stressait. Des petites corvées ici et là, ça allait, mais moindrement que trop de meubles et d’objets étaient déplacés, il angoissait. En contraste, il aimait participer au nettoyage de l’annexe à son royaume, la cour extérieure. Là, c’étaient plutôt nous qui ne voulions pas l’avoir dans nos pattes bien souvent, le temps de ramasser les trucs peu ragoûtants qui réapparaissent après la fonte des neiges ainsi que les choses dangereuses pour lui. Dans les corvées régulières, à part le jeu du balayage, il affectionnait nous tenir compagnie pendant que nous faisions la vaisselle, quitte à recevoir quelques éclaboussures au passage et à nous faire quasi-trébucher plus d’une fois, étendu comme il était sur le tapis de la cuisine. Parfois, je ne me rendais même pas compte que Clément était venu me rejoindre, entre le bruit de l’eau coulant du robinet et le silence de ses pas feutrés, e rare tintement du grelot à son collier souvent trop faible par rapport au vacarme de la vaisselle, d’où les fréquents accrochages et aussi, j’admets, à l’occasion, quelque écrasages de pattes et de bouts de queue de chat. Ce qui ne l’empêchait jamais de refaire le manège la prochaine que l’un de ses humains était de corvée de vaisselle !
Puis, il y avait le changement de couvertures. Notre petit roi s’immiscait rarement dans l’action de faire le lit, contrairement à d’autres chats – je pense que je pourrais compter sur les doigts d’une de mes mains le nombre de fois où s’est survenu. Néanmoins, Clément était presque toujours le premier à inspecter les couvertures toutes propres, à s’y enrouler pendant des heures. J’allais oublier aussi que si le matelas était laissé découvert pendant le lavage des couvertures, Clément allait presque invariablement s’y installer. En cherchant des photos pour agrémenter ce billet, je me suis rappellée de ce détail. Il faut dire que depuis bien des années, nous avons de la literie de rechange qui permet de changer sans attendre les draps, mais au début de notre cohabitation, nous en avions bien peu. Ainsi, la photo ci-dessous date de l’époque de notre deuxième appartement quand Clément était à peine un peu plus qu’un chaton.

Pendant que j’y pense, il y avait bien une activité de grand remue-ménage que Clément affectionnait et qui ne le stressait pas trop, ou pas assez pour ne pas qu’il vienne pointer son museau dans les recoins habituellement hors de son atteinte : les réorganisations d’armoires et de garde-robe. Ça, ça ne le faisait pas fuir, au contraire, ça l’attirait même s’il n’était pas déjà sur les lieux au commencent de l’opération. Son intérêt était particulièrement vif si cela impliquait le garde-robe de la yellow room ou celui de l’entrée, comme ce sont les deux qui sont toujours fermées en tout temps général. Clément adorait aussi quand je m’assoyais à sa hauteur pour vider et nettoyer les armoires du bas dans la cuisine. Il venait sentir ce que je sortais, se faufilait à l’intérieur des armoires dans lesquelles il n’y avait généralement pas d’espace pour lui. Il fallait toujours que je le garde à l’oeil durant ces opérations, pour m’assurer de ne pas l’enfermer par mégarde dans un des garde-robes, pour ne pas qu’il tombe sur quelque chose que nous gardions hors de son atteinte dans le dit garde-robe. Une chose est sûre, faire le ménage avec un chat dans les pattes, c’était agaçant parfois, mais aussi amusant et toujours intéressant.
Je n’ai pas fait de tel remue-ménage de mes armoires et garde-robes depuis le décès de Clément, malgré que j’avais prévu le faire à l’été, puis l’automne. J’ai rangé et sorti des choses, sans toutefois revoir l’organisation de ces espaces. Peut-être qu’inconsciemment, je repoussais l’exercice sachant que ça me rappellerait de façon vive son absence. Peut-être que maintenant que c’est exprimé, j’arriverai à m’atteler à la tâche pour ce printemps… ou au moins, à commencer.




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